Festival de cinémaUrsula Meier, une «Ligne» pour conquérir Berlin et marquer son retour
La cinéaste franco-suisse est cette année en compétition à la Berlinale avec un film majoritairement suisse. On l’a vu et on a parlé avec elle.

L’onde de choc surgit dès les premières secondes. Objets qui se fracassent contre une paroi, disques qui volent en éclats, partitions qui s’éparpillent. Une violence réelle, donc, mais filmée au ralenti, comme en apesanteur, dans une sorte de temps suspendu que la première séquence de «La ligne» va confirmer, voire amplifier. Des gens qui se déchirent, une famille peut-être, des adultes qui se hurlent dessus. Une femme qui en menace une autre, veut la frapper, est retenue par deux hommes qui tentent de la maîtriser avant que la gifle parte et que la violence du coup précipite l’une des femmes (Valeria Bruni-Tedeschi) contre un piano, se heurtant la tête et se blessant. Là aussi, tout est filmé au ralenti, déconstruit par le travail de la caméra, digéré par une image qui paraît vouloir contenir l’énergie des personnages mis en scène.
De l’origine du conflit, on ne saura rien. Ainsi démarre ce nouvel opus, tant attendu, d’Ursula Meier. Pour la cinéaste franco-suisse, «La ligne» est surtout le film de tous les retours. Retour au cinéma, retour en Suisse, plus précisément en Valais, cette fois au Bouveret, non loin des endroits où elle avait tourné «L’enfant d’en haut», et bien sûr retour à Berlin, dans le festival où elle avait remporté en 2012 un Ours d’argent pour le film précité.
Cent mètres d’éloignement
De «La ligne», on ressort secoué, mû par des sentiments et impressions contraires devant ce conflit familial au féminin – elles sont quatre, trois sœurs et leur mère – dans lequel une ligne de cent mètres d’éloignement va être imposée par jugement envers celle qui a porté le coup à sa mère dans la séquence d’ouverture. «Je ne raconte pas comment cette relation mère-fille en arrive à ce point de non-retour, nous confiait la réalisatrice ce week-end à Berlin, où elle caresse l’espoir d’être à nouveau récompensée. En revanche, j’ai eu besoin, au niveau de l’écriture, d’en savoir plus et de le dire aux actrices. Des scènes ont été jouées sans être filmées. Et tout ce que je peux dire – d’ailleurs, on le saisit dans le film –, c’est que le départ de la dispute est un détail plus ou moins insignifiant. Une histoire de robe.»
Un casting très romand
Comme son précédent film, «La ligne» est coécrit par Antoine Jaccoud, avec en prime ici la collaboration de la comédienne, chanteuse et metteuse en scène suisse et belge Stéphanie Blanchoud, qui tient aussi le rôle principal du film. Et qui prend d’ailleurs cet emploi à bras-le-corps, insufflant une énergie incroyable à un corps que le récit ne va pas épargner. «C’est un casting pour lequel j’ai pris mon temps, note Ursula Meier, consciente que les rôles masculins y occupent une portion plus congrue. Par exemple, le rôle tenu par Thomas Wiesel (ndlr: jeune époux d’une des trois sœurs), j’ai mis extrêmement longtemps à le trouver avant de comprendre que ce serait le meilleur choix possible.»
Au sein de ces rôles féminins, on retrouve également Valeria Bruni-Tedeschi, ainsi que la jeune Lausannoise Elli Spagnolo, qui est véritablement étonnante, mais aussi la Française India Hair. Et, côté masculin, Benjamin Biolay, qui n’a d’ailleurs aucune scène commune avec les autres, hormis avec Stéphanie Blanchoud. «Les autres, il ne les a tout simplement pas rencontrées. Sauf pour la première fois ici même, à la Berlinale. Sinon, la recherche du décor est ce qui a été le plus compliqué, avant que je ne tombe sur cet endroit où il y a vraiment tout ce que je voulais: des maisons de pêcheurs, des HLM, plus une marina qu’on voit en arrière-plan. Il y avait là-bas une mixité sociale très étonnante.»
Coproduit par la Belgique, la Suisse et la France, «La ligne» semble pourtant davantage suisse à bien des égards. Par sa réalisatrice, par plusieurs de ses interprètes et par certains de ses producteurs, soit les Genevois Max Karli et Pauline Gygax de Rita Productions, et les Lausannois de Bande à part. Pour l’heure, il s’agit d’un des meilleurs films visionnés dans une 72e Berlinale spartiate, anesthésiée par les contraintes, sous le joug des codes QR, et avouons-le, de plus en plus désertée par les professionnels, qui ont préféré renoncer.
On espère retrouver le film au palmarès dans la semaine, même s’il n’a pas fait l’unanimité absolue – quel film la fait, cela dit? – et même si d’autres prétendants au titre ne sont pas négligeables, de Claire Denis à Hong Sang-soo. Il y a cette année 17 films en compétition officielle, et, comme le festival a été ramené à sept jours, on en visionne entre trois et quatre par jour, ce qui est copieux et pas forcément facile pour prendre de la distance avec toutes ces visions du monde.
«La ligne» sortira en automne 2022
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