Découverte artistiqueVictor Hugo trace aussi sa… comédie humaine
La pratique du dessin a compté pendant un demi-siècle dans la vie de l’écrivain. «Têtes», paru aux Cahiers dessinés, rassemble une petite partie de cet immense œuvre.

Sa tête barbue, souvent appuyée sur l’une de ses mains comme si elle cherchait à se soulager du poids du savoir… on la connaît. On la voit aussi sur ce cliché clair-obscur de Nadar publié à la une de «L’Illustration» et pris le 22 mai 1885 alors que la vie vient de quitter Victor Hugo. Mais les «Têtes» – une centaine – dessinées par le chef de file du romantisme n’appartiennent pas vraiment à la mémoire collective.
Une trop longue absence que viennent combler deux opportunités de voir ce trait si sûr de lui alors qu’il trace le pire, le simiesque, le révulsif de la comédie humaine! Dans des saynètes, le dessinateur pointe le regard de propriétaire que les hommes portent sur les femmes, du flasque libidineux au galant à la taille de guêpe. Puis il zoome sur les seuls visages ou profils faits de quelques traits… taillés au couteau. Ou déformés par le vitriol. Le tout, crapuleux, laid, criard, file des frissons et claustre dans un univers décadent.

Le premier Festival du dessin à Arles (jusqu’au 14 mai) montre une sélection de ces jets d’encre aussi sévères que bruts. Pour ceux qui ne peuvent être du voyage, Les Cahiers dessinés donnent du temps à l’exploration de ce corpus dans un ouvrage qui vient de paraître, une courte exégèse à l’appui. Son auteur, le conservateur au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, Thomas Cazentre, y relève qu’Hugo dessinateur (environ 2000 feuilles) a davantage mis en évidence ses paysages et visions imaginaires que ces créatures – lui disait «figurines» – dont certaines n’avaient encore jamais été montrées, ni publiées.
«De quelles profondeurs Hugo a-t-il tiré ces êtres? Représentent-ils pour lui le cœur de l’humanité, ou ses marges?»
Ces feuilles ne sont pas datées, elles ne semblent pas obéir à une véritable chronologie: mais qu’importe. Leur seule énergie, vorace, invite à la balade dans cet art de la concision, sans appel, parfois férocement minimaliste et si… antinomique avec les largesses littéraires de l’auteur des 1600 pages des «Misérables».

En ce milieu de XIXe siècle, la société se gausse avec la caricature mais les expressions de la terreur, du doucereux, de l’envieux rendues par Hugo surpassent ce nouveau genre. L’artiste ne stigmatise pas un individu, il semble plutôt dire son accablement face à une débandade généralisée. «De quelles profondeurs Hugo a-t-il tiré ces êtres? s’interroge l’auteur. Représentent-ils pour lui le cœur de l’humanité, ou ses marges? Sa vérité nue ou ses pathologies, morales et sociales?»
«Victor Hugo, Têtes»
Thomas Cazentre
Éd. Les Cahiers dessinés, 135 p.
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