L’explication de texte à laquelle Alain Berset a dû se livrer cette semaine illustre bien l’embarras du Conseil fédéral dans le débat sur la livraison d’armes à l’Ukraine. Parler de «frénésie guerrière» était «inapproprié», a admis le socialiste, deux jours après avoir lâché ce terme dans la «NZZ». Il n’avait guère le choix: rarement les propos d’un président de la Confédération ont suscité autant d’indignation sur la scène internationale et de critiques dans la classe politique suisse.
L’incompréhension grandit depuis des mois à l’égard de cette Suisse qui s’arc-boute sur sa neutralité pour refuser tout soutien militaire indirect à Kiev. Alain Berset s’est donc efforcé d’adoucir sa pensée, en déplorant cette fois «un climat de pure logique guerrière». Selon lui, trop peu d’importance est accordée à l’aide humanitaire en réponse à l’invasion russe.
Si la communication est délicate, le Conseil fédéral a au moins le mérite de garder une ligne cohérente. Et d’essayer de l’expliquer. Il ne cède pas aux pressions, d’où qu’elles viennent. Il s’appuie sur les décisions du parlement, qui refuse une à une les propositions d’assouplissement en matière de réexportations d’armes. Et il n’écoute que d’une oreille les sondages affirmant que les Suisses sont prêts à faire une exception en faveur de l’Ukraine.
«Les citoyens déçus de la politique passive du gouvernement auront tout loisir de voter pour un parti ou des personnalités qui la contestent.»
Pour la majorité des sept Sages, la Suisse aurait davantage à perdre qu’à y gagner. Si notre pays a un rôle à jouer dans la résolution du conflit, c’est sur le terrain diplomatique. Il condamne l’agression menée par Vladimir Poutine, il reprend toutes les sanctions économiques infligées à la Russie, mais ne s’engagera pas sur le plan militaire en fournissant des armes ou des munitions aux troupes du président Zelensky.
On peut s’en offusquer. Crier à l’hypocrisie. On peut même - et c’est la richesse de notre démocratie - agir pour tenter de faire bouger les lignes. La Suisse offre à chacune et chacun le droit de manifester son désaccord. Libre à qui le souhaite de lancer une initiative populaire pour abolir notre neutralité militaire stricte, par exemple. Ou au contraire pour interdire toute exportation d’armement «Swiss made». Un comité proche de l’UDC, décidé à bétonner la neutralité suisse sur tous les plans, récolte déjà les 100’000 signatures nécessaires.
Souhaitons que le peuple ait à se prononcer sur ces questions cruciales. Et le plus tôt serait le mieux. Les élections fédérales d’octobre en donneront un avant-goût. Les citoyens déçus de la politique passive du gouvernement auront tout loisir de voter pour un parti ou des personnalités qui la contestent. Le Conseil fédéral, ne l’oublions pas, est issu du parlement que nous élisons tous les quatre ans.
Au-delà des éléments de langage, telle est peut-être la leçon à tirer de la polémique actuelle. Même très loin de la ligne de front, nous pouvons faire entendre notre voix. Et dire si notre bonne vieille neutralité doit évoluer.
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La rédaction – Vivement que le peuple suisse clarifie la neutralité
Le refus de Berne de livrer indirectement des armes à l’Ukraine en guerre agite les esprits depuis des mois. Un scrutin national est souhaitable.