ThéâtreVivre, heureuse, au-delà de l’indicible
Porté sur la scène de Vidy à travers la voix d’Irina, la mère, le drame de la disparition des jumelles de Saint-Sulpice aurait pu être voyeuriste. Mais il résonne comme un espoir.

Elle raconte cette histoire comme si c’était la sienne. Bouleversante de sincérité et de profondeur émotionnelle, Gaia Saitta semble littéralement imprégnée et illuminée du courage d’Irina Lucidi, mère des jumelles disparues de Saint-Sulpice. Dans «Je crois que dehors c’est le printemps», à voir à Vidy jusqu’au 13 avril, la comédienne – et co-metteuse en scène avec Giorgio Barberio Corsetti – donne à entendre toute la violence, mais aussi tout l’amour que recèle cette tragédie contemporaine.
Public sur scène
Entourée de membres du public qu’elle a cueillis à leur entrée dans la salle pour incarner les protagonistes (grand-mère, psy, juge, amie, Mathias P. l’époux kidnappeur…), Gaia Saitta fait montre d’une extrême pudeur dans son interprétation et ne sombre jamais dans le pathos. Teintée d’accent italien, marquant aussi l’origine d’Irina, la voix de la comédienne tremble, se fait parfois ténue, mais revient avec fermeté lorsqu’il faut exprimer la solidité inouïe d’une femme, seule face à l’horreur. «Je suis vivante. La douleur toute seule ne tue pas. Il faut être heureux pour tenir tête à cette douleur inconcevable. Il faut de la peur pour avoir du courage», ose-t-elle dire, cette mère qui l’est et le sera toujours, même sans enfants.
Écrans reflets
C’était pourtant une famille comme une autre. Elle, chaleureuse et ouverte; lui, calme, rassurant, solide «comme un rocher dans la mer», parents de jolies jumelles de 6 ans. Le récit de Concita de Gregorio, qu’Irina Lucidi a accepté de rencontrer en 2014 (trois ans après la disparition de ses filles) donne quelques clés pour éclairer sobrement un tel dérapage dans l’épouvantable.
Grâce à deux écrans, l’un rectangulaire posé sur le sol, l’autre carré suspendu à trois mètres et un système vidéo composé de deux caméras, le public entrevoit des visages, des reflets d’eau, des objets porteurs de sens comme ces chaussures boueuses d’une terre où pourraient être ensevelies les jumelles. Ou encore un défilé de Post-it questionnant notamment la personnalité de Mathias qui, lui, utilisait ces petits carrés de papier collants pour donner des ordres, sans cesse…
Entre théâtre documentaire et récit cathartique, ce n’est pas au spectacle de la douleur que l’on assiste, mais bien à celui de la force de vie: «Je croyais avoir beaucoup aimé et que je n’aimerais plus jamais. Je me trompais.»
Lausanne, Vidy
Jusqu’au 13 avril.
www.vidy.ch
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