Les signes de pauvreté ne sont pas si aisés à voir en Suisse et face aux mendiants, nous sommes tentés de détourner les yeux, gênés par la confrontation. Les situations de dénuement se donnent peu à voir chez nous, comme si le contraste entre la richesse du pays et le spectacle de la pauvreté était indécent, voire intolérable à supporter.
Pourtant, la statistique le confirme. En 2020, 8,5% de la population vivant en Suisse était en situation de pauvreté, soit plus de 722’000 personnes. Pis, près du double (15,4%) connaissait la précarité, côtoyant le risque d’entrer en situation de pauvreté.
«Les familles monoparentales et les personnes de plus de 65 ans sont les catégories les plus touchées.»
Que signifie pratiquement l’état de pauvreté en Suisse, pays dans lequel aucun seuil n’est officiellement reconnu? Vivre avec un revenu de moins de CHF 2279 quand on est seul ou avec moins de CHF 3963 pour une famille de quatre personnes, c’est être pauvre. Chacun peut faire l’exercice et se mesurer à une telle éventualité. Cette définition, purement statistique, n’ouvre cependant à aucun droit, si l’on excepte les personnes au bénéfice d’une rente, qui peuvent demander des prestations complémentaires.
Les familles monoparentales et les personnes de plus de 65 ans sont les catégories les plus touchées. Ainsi, parmi les enfants et les retraités, un nombre significatif vit la pauvreté au quotidien. Autrement dit, avoir un enfant ou entrer à la retraite constituent des risques aggravés de pauvreté.
Les privations matérielles, l’exclusion de certaines activités ne sont pourtant qu’une facette de la question. L’état de pauvreté suscite de l’incompréhension, quand ce n’est pas du rejet. Comment peut-on être pauvre dans un pays opulent et ne manquant pas de postes de travail? La suspicion collective à leur égard oblige les pauvres à se dissimuler ou tout le moins à masquer leur état.
De la honte à l’invisibilité
À l’origine de ce mécanisme, la responsabilité individuelle, érigée au rang de principe, amène une partie des potentiels bénéficiaires à renoncer à demander de l’aide. Les politiques sociales en faveur des familles sont pingres au regard des autres pays et les droits pour les retraités, complexes et difficiles à faire valoir. Solliciter l’aide sociale est encore trop souvent ressenti comme honteux. Quoi qu’il en soit, s’engager dans cette voie, outre les tracasseries administratives, c’est affronter des regards réprobateurs et suspicieux.
Plus de 4% des personnes actives ne gagnent pas suffisamment pour échapper à une situation de pauvreté et un retraité sur six est dans la même situation. Pour ce dernier, compléter sa rente en occupant un emploi relève de la galère en raison de l’âge qui le pénalise sur le marché de l’emploi.
Vivre pauvre en Suisse prive de l’accès à une vie matérielle normale, mais contraint surtout à la discrétion, voire l’invisibilité.
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L’invité – Vivre pauvre en Suisse, une double peine
René Knüsel observe qu’une part non négligeable de la population, privée de l’accès à une vie matérielle normale, est également contrainte de dissimuler son état.