Focus sur un artiste vaudoisYersin caresse le corps sensible des choses
Avec cette traversée de l’œuvre dessinée d’un artiste un peu oublié depuis sa mort en 1984, le Musée cantonal des beaux-arts est désormais totalement ouvert.

C’est fou le nombre de mots qui peuvent coller aux traits d’Albert Edgar Yersin, ce Montreusien très tôt orphelin d’un père banquier et élevé dans sa famille maternelle aux Amériques – New York puis Santiago du Chili – du temps où l’Atlantique ne se traversait qu’en bateau. Dans ses dessins habitant l’espace Focus du Musée cantonal des beaux-arts, l’artiste carcasse l’infiniment petit en architecte scrupuleux du détail, il le cerne et le sertit en orfèvre, il le sonde en explorateur, immiscé dans sa morphologie comme dans son tempérament. On pourrait aussi le dire chimiste tant il joue en direct sur le papier avec les fusions ou les scissions de formes comme avec les explosions, les germinations ou les irisations.
«Je rêve de créer un art qui ne serait finalement qu’un journal de signes mais un journal entièrement vécu»
Des reliefs, des pics, des montagnes. Des ondes, des rondeurs, des organismes. Yersin en regorge dans son vocabulaire de dessinateur décomposant et recomposant l’environnement. On s’y repère parfois, croisant un sapin, des visages, une chevelure, une coulée d’avalanche. D’autres, c’est le mouvement composant des rondes lyriques ou fait de dynamiques abstraites qui traduit ses pensées. Un travail de l’application extrême et de la redondance que l’exposition rythme en le segmentant thématiquement pour donner à lire et à repérer ses perspectives, son intérêt pour la «matière à rêver», comme ses enchantements pour les couleurs de l’arc-en-ciel après avoir passé des années dans le noir-blanc.
En suspension entre les genres
Artiste de la miniature, formé dans un job alimentaire, la gravure spécialisée de timbres-poste, à son retour en Suisse, Albert Edgar Yersin (1905-1984) s’est aussi lâché dans de plus grands formats peints entre 1950 et 1960. L’exposition lausannoise en montre un – assez peu grisant d’ailleurs –, comme elle se laisse enrichir d’une curieuse petite sculpture d’un visage torsadé ou d’œufs peints. Le focus porte donc bien son nom dans cette salle, la dernière à être inaugurée dans le nouveau MCBA, qui réveille une œuvre de l’intemporel, comme en suspension entre l’abstraction et la figuration, entre le réel, la rêverie et le fantasque. Une œuvre faite à la fois de vertiges et d’échappées belles. Mais c’est avant tout l’ardeur au travail d’un enlumineur de la vie qui impressionne.

Lausanne, MCBA
Jusqu’au 20 septembre,
ma-di (10h-18h), je (10h-20h)www.mcba.ch
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