Yvan Bouvier murmure à l'oreille des singes d'Amazonie
L'ancien mauvais garçon de Montreux, artisan du fer et champion suisse d'arts martiaux, a créé, en Équateur, un refuge pour les animaux sauvages victimes des hommes.
A cœur de la jungle équatorienne, Yvan Bouvier détonne avec ses santiags, son élégant gilet et son allure des seventies. Le Montreusien est de retour de la ville la plus proche, Puyo, dans l'Oriente. Il a fait le plein de bananes au marché et retrouve avec joie son fief du Paseo de Los Monos (le passage des singes).
Un territoire que lui dispute Sambo, un chorongo, l'autre mâle dominant et le primate le plus dangereux du refuge. Tellement terrorisé par les chasseurs qui l'avaient capturé tout jeune, le frêle animal s'était réfugié sur le dos d'une chienne durant 5 mois après son arrivée à Los Monos, en 2007.
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Âgé de 10 ans maintenant, la robuste bête déboule de son corridor en treillis métallique et nous toise. Son père d'adoption vaudois allume un cigare, dont les volutes bleuâtres apparaissent comme les derniers vestiges d'un passé tumultueux. La nuit tombe d'un bloc sur l'Amazonie. Les animaux diurnes se taisent. Seul le chant des grillons se fait entendre. «C'est lorsque l'on m'a amené mon premier animal, un jeune chorongo bien amoché, que j'ai décidé de sauver ici ce qui pouvait encore l'être, confie Yvan Bouvier. J'en ai fait la promesse solennelle à ce petit singe laineux, qui a souffert durant un an avant de mourir.»
Le Montreusien s'est établi il y a une quinzaine d'années sur un morceau de forêt primaire – n'ayant jamais connu d'intervention humaine auparavant – qu'il a acquis près de Puyo. Il y a créé le premier centre d'accueil pour animaux sauvages blessés ou orphelins, afin de les soigner, voire de les relâcher dans la forêt en les intégrant à un groupe de leur espèce. Il abrite près de 200 individus.
Fils de policier et chef de gang
À force de jouer les gros bras en Suisse mais aussi lors de ses nombreux voyages en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, le bagarreur d'antan devait bien trouver un jour un combat à sa mesure. Et celui-ci n'est pas gagné. «Je veux défendre la vie partout où elle se trouve. Or, avec l'exploitation massive des ressources naturelles, la fragmentation des habitats et la pollution, l'Amazonie est attaquée de toutes parts, ce qui rend les indigènes, la faune et la flore plus vulnérables. Heureusement le trafic illégal des animaux est aujourd'hui puni.»
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Curieux destin que celui de ce Vaudois à la jeunesse mouvementée. Il a grandi à l'avenue des Brayères à Clarens, en face de l'abattoir voisin. «J'entendais les cochons mourir et je jouais au milieu des animaux dépecés.» On flaire l'écorché vif, la sensibilité à fleur de peau, sous ses airs calmes et impassibles. Son père était flic, il deviendra chef de gang, faisant les quatre cents coups sur la Riviera. À 14 ans, il fonde le Zizi Club, dans le pur esprit «sexe, drogue et rock'n'roll» des années 1970. Un endroit de débauche que la police fermera.
Lui sera viré du collège secondaire avant l'heure. Ce qui ne l'empêchera pas de réussir avec un certain succès son apprentissage de constructeur d'appareils en acier inoxydable, entamé sous la pression du Service de protection de la jeunesse. Après plusieurs années de voyages, l'un marqué par un mariage de deux ans avec une belle Congolaise, le gros bras deviendra même champion de Suisse poids lourds de taekwondo et d'hapkido, lors des deux décennies d'arts martiaux pratiqués au Taekwondo Riviera. «Trois ans après, j'ai aussi été vice-champion en figures techniques», sourit Yvan Bouvier.
David contre Goliath
Il se fait tard. Les singes se mettent à hurler dans l'obscurité: «C'est une alarme sérieuse», souffle le bienfaiteur des animaux observant les parcs depuis la petite terrasse du bâtiment administratif. Sans doute la présence d'un félin, d'un serpent ou, peut-être, d'un homme, l'être finalement le plus redouté à Los Monos: «Il y a une prise de conscience, mais le gouvernement n'en fait pas encore assez pour maintenir la biodiversité, poursuit le défenseur de la nature. Tiraillés entre les politiques de développement et de conservation, les élus tiennent des doubles discours. Le nombre de gardes forestiers et de gardes-chasses est ridicule pour surveiller un tel territoire et faire respecter les lois.»
Trois volontaires rejoignent les dortoirs. Le refuge en compte près de 300 par an, en majorité des étudiants en biologie. Ils paient 150 dollars par semaine pour nourrir les animaux, entretenir le site et, surtout, avoir accès aux connaissances d'Yvan Bouvier. «Il est remarquable et nous remet les pendules à l'heure par rapport à ce que nous apprenons dans notre formation, explique Raphaël, étudiant en biologie à Rennes. Mais son combat est celui de David contre Goliath. Son programme de réinsertion des animaux dans des espaces idoines n'est pas assez soutenu.»
Qu'importe, le dur au cœur tendre a le soutien inconditionnel de Liseth, une Équatorienne qu'il vient d'épouser. Et sans laquelle il serait bien emprunté. «Je lui apporte tout mon appui, parce que j'estime qu'il fait ce que mes compatriotes devraient faire.» Madame ne se contente pas d'être au four et au moulin: elle crée un jardin botanique destiné à sauver les végétaux victimes du déboisement.
Langages télépathiques
À force de vivre avec les singes, Yvan Bouvier n'a peut-être plus besoin de leur murmurer à l'oreille pour se faire entendre: «Je pense qu'ils comprennent un langage télépathique. Un capucin que je portais toujours sur moi lisait dans mes pensées et celles des autres. Quand l'infirmière qui le soignait venait (rarement) pour le piquer, il le savait, alors que notre action était bien dissimulée. C'est pourquoi j'ai suggéré à cette infirmière de penser à autre chose. Difficile! Une autre fois, Milton, mon capucin malicieux, a spontanément tabassé un visiteur, que je trouvais antipathique, sans le montrer.» Le Vaudois serait-il un peu chaman? Peut-être.
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